Thierry Beinstingel : Discours de remise du Prix Eugène Dabit du roman populiste 2012

« J’ai eu le prix Eugène Dabit du roman populiste : c’est une grande, très grande joie ! Une des raisons de mon immense plaisir date de trente quatre ans et remonte à l’année de ma rencontre toute fictive avec René Fallet.

L’intermédiaire entre nous est son premier roman, Banlieue Sud Est, qu’il a publié à 19 ans, en 1947. On est 31 ans plus tard, j’ai tout juste 20 ans, je viens de débarquer à Paris, après avoir erré à Toulouse pendant quelques mois, suffisamment longtemps pour décider de m’acheter un cahier et de le couvrir de cinquante pages d’un début de premier roman.

Probablement que cette proximité m’a attiré : la banlieue que j’apprenais à connaître en même temps que l’écriture, l’inévitable comparaison avec nos deux âges presque identiques au moment de cette première inspiration.

Si un pèlerinage à Villeneuve Saint Georges où je n’ai rien reconnu de son livre m’a montré l’écart d’une génération, qu’importe, le pli était pris : je marcherais sur ses traces… Le reste était une question de temps, vivre, écrire, les deux mélangés comme il l’avait par ailleurs toujours fait.

Ainsi, en 2000, lors de la parution de mon premier livre, à plus de quarante ans, j’avais la sensation d’une identique jeunesse. J’avais, à cette époque, avalé tout ce qui concernait l’auteur des mes vingt ans, lu tous ses romans, compulsé le livre d’entretiens et de témoignages Splendeurs et misères de René Fallet (paru la même année que mon arrivée à Paris), attendu avec impatience chez mon libraire les trois tomes de ses Carnets de jeunesse, étalés entre 1990 et 1994. Je n’ignorais pas qu’il avait obtenu le prix populiste en 1950 (le seul auteur qu’on a récompensé pour « l’ensemble de son œuvre » à l’âge de 22 ans et demi, soit trois livres en trois ans, Banlieue Sud Est, La Fleur et la Souris et Pigalle). Et même aujourd’hui, je sais  retrouver à coup sûr dans ses écrits tout ce qui a trait à cet évènement.

Cependant, l’idée de marcher sur ses traces ne s’est jamais vraiment réalisé, tant finalement l’époque avait changé et moi aussi. Après neuf livres et un destin différent, je me retrouve à l’âge exact où il avait écrit à son neveu Gérard Pusey en mars 82 « Perec est mort et je ne me sens pas très bien moi-même ». Quelques mois plus tard il avait rejoint  Georges Brassens chez les enfants du paradis.

Au moment précis où le prix populiste, revigoré du nom d’Eugène Dabit vient frapper à ma porte, je viens de lire Hôtel du Nord, quatre mois auparavant. Et bien sûr, je n’ose y croire, tant de coïncidences… Pourtant, ça s’affirme : après la première sélection, je me retrouve dans l’ultime choix, se pourrait-il que ? Par un hasard improbable ? Les signes se multiplient : je suis hébergé ainsi à l’Hôtel du Nord à Besançon pour le festival littéraire des Petites Fugues. J’y suis encore deux jours avant le verdict.

Et lorsque la nouvelle éclate, je ne sais plus quoi dire, alors je fanfaronne : Jean-Paul Sartre a accepté le prix populiste en 1940, alors qu’il a refusé le prix Nobel en 1964. Tiens, d’ailleurs, c’est également en 1964 que René Fallet reçoit le prix Interallié pour Paris au mois d’août …

Et voilà, je reprends à nouveau en pleine poire René Fallet et l’obsession de mes vingt ans :

Banlieue Sud Est et son incipit : « je suis le type qui possède l’amour. D’un seul mot je le donne, d’un seul geste je l’arrache » 

La fleur et la souris avec la préface de Michel Audiard que le sort  a inversé : «Quand René Fallet sera mort, j’écrirai une ode que Brassens mettra en musique. » 

« Pigalle, cette nuit là étouffait de chaleur » : c’est la dernière phrase de cette trilogie qui lui a valu le prix populiste.

Populiste ? « Quelque chose de gris et triste s’attache à ce mot de populiste », disait-il encore, « Je ne suis ni triste, ni gris. Et je ne suis pas un fromage pour accepter une étiquette ».  

Il a raison, beaucoup de noms en « iste » sont tristes : capitaliste, arriviste, carriériste, intégriste, raciste, fasciste, dentiste… Vous avez bien fait de changer le nom du prix : Eugène Dabit : « un type que j’aurais aimé connaître ». Et c’est encore une citation de René Fallet.

Avec mes remerciements… »

Thierry Beinstingel

4 décembre 2012

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Prix 2013, la dernière étape

Cinq romans ont été retenus par le jury du Prix Eugène Dabit du roman populiste dans la dernière étape de sélection du lauréat 2013 (lire ci-contre).

Le vainqueur sera désigné le 9 janvier 2014, la proclamation aura lieu le même jour.

Pour des raisons pratiques, le prix sera décerné le 18  janvier 2014 à la nouvelle médiathèque de L’Île-Saint-Denis (93), à l’occasion de son inauguration (qui a été retardée d’un mois). Ce retard explique le décalage d’un mois (et le franchissement malheureux de l’année calendaire) de la date effective de la remise du prix.

Qui est Eugène Dabit ?

Eugène Dabit

Eugène Dabit

Eugène Dabit est un écrivain français né en 1898 et décédé en 1936.

Il a fait partie du groupe de la littérature prolétarienne et a eu un très grand succès pour son recueil de nouvelles Hôtel du Nord qui fut couronné du Prix du roman populiste et porté à l’écran en 1938 par Marcel Carné, avec les acteurs Arletty et Louis Jouvet. Il a entretenu une très intéressante correspondance avec Roger Martin du Gard. Continuer la lecture