Clémentine Mélois est lauréate du prix 2025 pour son roman Alors c’est bien (L’Arbalète, Gallimard, 2024). L’autrice propose avec ce ré
cit une œuvre d’une grande sensibilité qui a ému et convaincu les membres du jury, emportant une décision finale résumée par l’un des jurés : « Ce livre donne envie de vivre ». E
t si la mort ne pouvait être qu’une fête ? Et la fin le début d’un recommencement ? Le pari de Clémentine Mélois est tenu pour rendre hommage à son père dans la préparation de brillantes et lumineuses obsèques. Le jour de fête est génialement bricolé, partagé avec l’entourage du disparu, les gens du village. Il est célébré dans un cérémonial pensé jusque dans ses moindres détails par le défunt lui-même et où l’art conservera toujours le maître-mot pour supplanter les douleurs du deuil et transporter l’artiste dans un au-delà bien terrestre, celui de nos mémoires.
Le 30 avril 2025, à L’Hôtel du Nord, en présence des amis du prix, du jury, de Daniel Picouly parrain de l’année, de Gilles Marchand et de Violaine Schwarz ancien.nes lauréat.es, Hugo Boris, membre du jury, a prononcé un hommage qui exprimait bien ce que fut l’émotion du jury à la lecture de l’ouvrage de Clémentine Mélois. Il le résumait en ces mots :
« Clémentine Mélois, j’ai une confession à vous faire.Je déteste m’habiller, c’est le drame de ma vie. Je n’ai pas de goût, je m’habille toujours un peu de la même façon. J’ai un vestiaire fruste. Je tourne sur 3 ou 4 vêtements, toujours les mêmes.Mais ce matin, grâce à vous, c’était facile : je savais que je voulais porter du bleu. Je vous demande pardon, j’avais pas beaucoup de choix. Mais j’ai pris le bleu qui me paraissait le plus proche du bleu RAL 5002 dans le système de codification des couleurs, le bleu dit outre-mer, le bleu plaque de rue, celui du tablier de la laitière de Vermeer, celui du manteau de la vierge,celui du plafond de la Sainte-Chapelle, celui qu’on appellera bientôt le bleu « Bernard Mélois »
Bernard Mélois, c’est votre père, sculpteur né en 1939 et mort en 2023. Un homme modeste, qui ne faisait pas de concessions à l’argent, au capitalisme, au monde marchand, que vous avez enterré comme un pharaon.dans un cercueil que vous avez peint de ce fameux bleu. Dans un cercueil où vous avez glissé des objets du quotidien comme les pharaons qui étaient enterrés avec des objets du quotidien destinés à l’au-delà. Dans son cas : un chalumeau et des galettes bretonnes.
En vérité, vous ne lui avez pas confectionné 1, mais 2 tombeaux. Il y a ce fameux cercueil, mais il y a aussi ce livre que nous célébrons ce soir, le vôtre, qui est aussi un tombeau. Au sens où il appartient au « genre » du tombeau, tombeau qui peut être poétique ou musical, écrit à une ou plusieurs mains, et qui rend hommage à un disparu.
Et quel hommage ! Vous écrivez que votre famille est « inapte au malheur ». Votre livre est à l’image de cette inaptitude. Vous parvenez à nous parler de la mort sans tristesse, sans nous faire de clef de bras pour forcer notre émotion, sans sensiblerie ni racolage. Si bien que ce but que vous feignez de dédaigner, vous l’atteignez : vous nous émouvez.
J’ai questionné mes camarades du prix pour savoir ce qui, eux, leur avait tant plu. Permettez-moi de vous lire quelques mots choisis :
« Je comparerais à une chanson guitare-voix ou piano-voix, évidente, qui sonne comme un classique à la première écoute, mais dont la solidité a été travaillée pendant des heures. Pour parvenir à cette pseudo évidence, il a fallu en éviter des écueils, faire mille choix, trouver le fil très fin sur lequel on joue à l’équilibriste. Ça veut dire ne pas se perdre, ne pas se laisser aller à raconter tout et n’importe quoi… Ça veut dire que chaque phrase est sur le bon fil, maitrisée, pensée, solide pour ne pas que ça bascule. Ça veut dire aussi éviter les effets de manche, ne pas se laisser happer par la virtuosité, même si on en est capable, ne pas chercher à en mettre plein la vue, ne pas sur-écrire – ce qui est, en soi, en ce qui me concerne, et vu tout ce que je lis, une force immense. »
« C’est un livre tendre, c’est un livre qui dit l’amour possible, y compris en famille, et c’est à contre-courant. » Alors c’est bien.
« C’est un livre qui parle des artistes comme de travailleurs, et même de travailleurs acharnés, et ça, ça nous sort des poncifs hérités du XIXème siècle, l’artiste maudit, l’artiste génial, le poitrinaire frappé par la foudre. » Alors c’est bien.
Alors que ce livre parle de la mort de bout en bout, il y souffle un vent de joie et de liberté, il baigne dans la lumière. Vous avez réussi ce petit miracle de commettre un livre qui parle de la mort et qui nous aide à vivre.
Alors merci, Clémentine Mélois. »